Une Réflexion sur le Phénoméne Touristique et les Crises: le Cas de Singapour                           Octobre 2007

Le tourisme étant devenu un composant essentiel de la mondialisation, l’un des principaux points que l’on doit, à mes yeux examiner est celui de sa réactivité par rapport à des évènements qui conditionnent voire modulent son existence.

Qu’en est-il de Singapour, Cité-Etat,  qui est une des références du triomphe du tourisme moderne en devenant une métropole touristique?

Le tourisme singapourien, sur les dix dernières années, a vu son environnement être fragilisé par un certain nombre de crises : prolongement de la  crise financière asiatique de la fin des années 90, puis attentats du 11 septembre 2001, de Bali 2003 et 2005, guerre en Irak 2003  et  2003 encore  l’un des épisodes les plus difficiles à gérer, la crise liée au  SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère).
Pour mesurer les possibles répercussions de ces crises, nous suivrons quelques chiffres clés, notamment ceux traitant des Arrivées internationales, Dépenses et Occupation d’hôtels de 2000 à 2006 (source: Tourism Focus, Singapore Tourism Board)

Année

ARRIVEES

REVENUS
(milliards S$)

Occupation des hôtels  (nuitées et taux d’occupation )

2000

7,691,399

6,292

8,421,442 - 83%

2001

7,518,584

5,699

7,920,114 - 76%

2002

7,567,110

5,425

7,785,508 - 75%

2003

6,126,569

4,315

6,368,051 - 67%

2004

8,328,118

6,2783

8,260,585 - 80%

2005

8,942,408

10,6

8,730,932 - 84%

2006

9,748,207

12,4

8,958,613 - 85%

change 1S$ = 0,5€
La principale leçon que l’on peut tirer est que les crises des débuts des années 2000 ont eu  des impacts  conséquents sur la destination. Il suffit  de voir la chute des arrivées et revenus : ainsi  entre 2000 et 2003, Singapour a perdu plus d’1,5 million de visiteurs et 1,98 milliard S$ et par extension toute l’économie singapourienne a été touchée.

La seconde leçon est que contrairement à ce que pouvaient supposer les analyses sur les vies des destinations, laissant présager qu’elles vivaient un cycle allant de leur naissance à leur stagnation voire leur déclin, Singapour démontre que cette analyse lui est inadaptée. Car il est remarquable que rapidement les crises ont été surmontées. En 2003, l’année où les crises se sont multipliées, après avoir connu un premier semestre difficile (-30% en arrivées) le second semestre va permettre de n’avoir qu’un relatif déclin annuel (-16%).

Et surtout on verra Singapour atteindre dès 2004, l’un de ses premiers records tant en arrivées (8,3 millions) qu’en termes de revenus (6,2 millions). Depuis la croissance est continue, la barre des 9 millions de visiteurs est dépassée, celle des 10 milliards de revenus aussi et les perspectives de Tourism 2015, à savoir 17 millions de visiteurs et 30 millions de revenus, ne paraissent plus être des utopies.

Comment expliquer que les impacts des crises sont aussi rapidement surmontés?

La première réflexion que je développe, ici, est que les crises ont des impacts à très court terme sur les destinations qui sont fortement intégrées dans le « corpus » du tourisme de XXIe siècle. Si ces régions subissent des contrecoups, ceux-ci ne sont pas capables d’ébranler la solidité du système touristique . Notion que j’emprunte à mes distingués collègues Jean-Michel Dewailly et Emile Flament pour qui « le tourisme résulte de la mise en mouvement d’un grand nombre d’éléments et de partenaires. La nature et le fonctionnement de ces interrelations autorisent à parler du système touristique » (Dewailly, Flament in Le tourisme, SEDES,2000, Paris).

Effectivement parce qu’il met en partenariat (public, privé, groupe, individu) tout un ensemble d’éléments (visiteurs, compagnies aériennes, hôtelières, entreprises…) et construit de nombreuses interrelations (culturelles, financières, sportives, sociétales), tant à l’extérieur de Singapour qu’à l’intérieur, le système touristique singapourien a suffisamment les « reins solides » pour supporter des crises qui ne sont pas issues de son territoire.

Cependant il me semble que la force de Singapour et son succès, qui étonne plus d’un spécialiste des espaces touristiques, sont liés à sa relative « petitesse ». Singapour étant l’archétype du « small is beautiful », je suis plus que dubitatif devant les orientations récentes qui ont été prises. Le développement des casinos, des parcs à thèmes, la « luxurisation » et la multiplication des « shopping centers », font courir le risque d’une super concentration de produits qui pourrait rendre l’espace moins intéressant. « Uniquely Singapore », le produit lancé par Singapore Tourism Board doit, plus que jamais, « garder mesure », car le succès singapourien est dû à cette relation étroite, construite par le commercialisé, entre l’imaginaire du visiteur et le réel. Si celle-ci se dilue, Singapour peut craindre pour son devenir touristique.

Nombre de spécialistes avancent la notion de capacité de charge (rapport entre le nombre de visiteurs et les possibilités d'un espace) pour indiquer le niveau de risque pour un lieu touristique. Pour ma part je suis davantage préoccupé parce que j’appellerai la « rupture du plaisir ».